La sucriére
Une terrible beauté est née.
Un titre impactant résumant l’esprit de la 11ème biennale d’art contemporain de Lyon.
Un titre emprunté à un vers du poème de Yeates Pacques 1916 qui aborde la question du doute et la force du paradoxe.
La Beauté – au sens de R. M. Rilke – est-elle toujours le début de la terreur ? Y’a-t-il une beauté qui ne soit pas terrible ? L’émergence de la beauté adoucit-elle la brutalité du réel ou n’en renforce-t-elle pas au contraire les horreurs ?
L’exposition engage à réfléchir sur la densité du présent, sur le pouvoir de l’imaginaire, du visionnaire et de l’hallucinatoire. Le commissaire sud américaine Victoria Noorthoorn regroupe 68 artistes du monde entier, principalement venus d’Europe, d’Amérique latine et d’Afrique. Elle compte quatre lieux d’exposition: L’emblématique sucrière réaménagée originellement pour la biennale, le Musée d’art contemporain de Lyon et nouvellement l’usine désaffectée TASE qui apporte sa force chaotique comme écrin, de meme que quelques œuvres dans une thématique de l’utopie à la fondation Bullukian.
La sucrière a une dynamique plus actuelle avec une majorité de sculptures, installations, vidéo, voire une œuvre impliquant un être vivant. Laura Lima a mis en scène un homme nu qui tire inlassablement sur les piliers de la sucrière du matin au soir, pouvant s’apparenter a une performance de part le coté vertigineux de l’espace temps distendu et l’épreuve physique de cet effort constamment répété en état de nudité, son auteur assure qu’il faut la percevoir autrement. On commence à pénétrer dans la sucrière par une œuvre renvoyant au théâtre avec succession de rideaux à franchir kulissen de Ulla Von Brandengurg, donnant le ton. Nous sommes d’abord saisi par les bruits. Bruits les sangles du tireur de piliers, le vagissement tonitruant provenant a espace régulier de breath, La pièce conceptuelle la plus courte de l’histoire du théâtre de Samuel Beckett mis en scène par Daniela Thomas qui n’a plus de pièce que la scénographie lumineuse et sonore et son espace théâtral découvrant un monceau de déchets. La vidéo politico burlesque de Tracey Rose impose ses accords dissonants de guitare électrique qui massacre l’hymne national israélien pour désamorcer par le biais de l’absurde, le tragique du contexte sociopolitique.
De façon plus directe bien que vaine Barthélémy Toguo expose 55 cercueils de bois de taille différente a l’image pour lui des 55 pays qui composent le continent africain.
En art vidéo est à noter l’histoire fragmentaire de Javier Téllez O RINOCERONTE DE DÜRER qui met en scène les patients de la clinique psychiatrique dans le panoptique de l’hôpital Miguel Bombarda à Lisbonne, lieux où l’on logeait les criminels. S’en suit un documentaire décrivant cet ancien asile, la caverne de Platon ou le terrier de Kafka auquel il est apparenté.
Victoria Noorthoorn a réalisé une mise en dialogue habile des œuvres avec des thématiques récurrentes comme l’enfermement, l’éducation, la sphère, les cycles de vie. Autre installation notable d’envergure, STRONGHOLD, la vision du le bunker regorgeant de livres de Robert Kusmirowski qui s’appréhende sur deux étages, le plus haut en révélant la paradoxale complexité entre le besoin primitif de chaleur, la quête de savoir et le poids de la mémoire.
Les poèmes visuels de Augusto de campos ponctuent avec bonheur les œuvres de la sucrière. Ils sont également visibles à l’usine TASE.
Performance de Laura Lima
Robert Kusmirowski installation Stronghold
Le MAC quant a lui met davantage l’accent sur des œuvres dessinées, peintes; dessins bruts, primaires et d’autres en finesse renvoyant a la gravure ou la calligraphie, cohabitent également des poèmes déconstruits ou les mots deviennent à leur tour formes, dessins. Les œuvres sont assez inégales dans la qualité de ce qu’elles produisent et souvent passéistes. Un Giacometti assez inattendu surtout dans ce médium vient complété la thématique de Victoria.
Dans les plus notables, soulignons les dessins psychologiques d’Elly Strik, notamment sa série à la mine de plomb LA FIANCEE FECONDEE PAR ELLE MEME impressionne toujours de part sa densité et sa charge érotique implicite. Les fins dessins de précision sur calques, comme des gravures modernes, couplé à un film d’animation fourmillant Alexandre Schellow reprend son travail sur la mémorisation de scènes du quotidien pour transcender l’oubli de tous les détails d’une vie.
Alexandre Schellow
film de Alexandre Schellow
La commissaire a souhaité la déstructuration du MAC et le reconstruit en un parcours imposé. Le plancher se lève a l’entrée lors de la première œuvre de Gabriel Sierra pour matérialiser la nouvelle vision bousculée, les murs sans plan d’appui, remettant en cause la relation entre le spectateur et le lieu physique.
Un escalier recréé, avec une œuvre évoquant un feu qui se serait engouffré le long des étages confère aussi une beauté formelle et architecturale étonnante au lieux.
Un étage plus brutal révèle l’univers chaotique de Diego Bianchi, à travers THE ULTIMATE REALITY, une installation ou se mêlent de façon déconstruite la scénographie d’objets triviaux et bouts de corps disloqués dans une violence dénonciatrice et expiatoire qui leur fait perdre tout référentielle.
Dessins de Marlene Dumas et installation de Cildo Meireles
Diego Bianchi
Garrett Phelan
Une autre œuvre ambitieuse de Cildo Meireles nommée LA BRUJA 1 « la sorcière » prend possession de tout l’espace du troisième étage établissant un fil d’Ariane entre toutes les œuvres… et entrave les pas des visiteurs qui se doivent a plus d’attention. Cette œuvre quant a elle avait déjà été présenté a la biennale de Sao Paulo en 1981 et réalise le défit de redéployer a nouveau ces 3000 mètres de fils dont on ne sait si ils naissent ou aboutissent à cet étonnant balais de sorcière.
CHRONIQUE D’UN FILM projet filmique de Ayreen Anastas, François Bucher et René Gabri revisite la philosophie révolutionnaire des années 60, à partir des analyses du film d’Edgar Morin et de Jean Rouch, chronique d’un été 1961, dont il recherche les rush d’un projet expérimental totalement visionnaire qui aborde la difficile question du bonheur à travers une étude documentaire sociale complètement radicale.
Sarah Pierce conclut le parcours avec son installation vidéo, tournée dans un cube noir avec décors et lumières de spectacles l’œuvre met en scène ses propres conditions de création et de réception.
Elly Strick
Sarah Pierce installation vidéo
A l’usine TASE L’œuvre de Laura Lima crée encore la surprise avec la horde de poulets de gala, une œuvre ou se mêle de nouveau le vivant, animal, cette fois-ci. Leur aspect est changé par l’apport d’un ramage artificiel de couleur vive qui influe sur l’identité et par voie de conséquence sur le comportement, voire meme le caractère ou le genre de certains volatils! Elle propose ainsi une étude comportementale forte de réorganisation sociétale.
En écho a la thématique bestiaire expérimental Michel Huisman a créé une sculpture monumentale LE POISSON dont deux visiteurs peuvent faire l’expérience intérieure simultanément pour découvrir « le secret » émanant de sa vision romantique pré apocalyptique.
La fondation Bullukian opte pour une réponse plus scientifique a l’utopie en s’enorgueillissant d’un développement de projet et sculpture architecturale mené par Richard Buckminster Fuller, l’un des grands intellectuels de son époque a la fois architecte, designer, chercheur et artiste. Sa quête inspirée par la nature tend à trouver des concepts profitant au plus grand nombre dans un souci d’économie d’énergie, matérialisé par ses dômes géodésiques.
Les quatre lieux à l’architecture forte, réaménagée pour l’événement concourent à la force de la biennale et à sa pertinence.
Complexe, complète, un peu inégale cette onzième édition aurait mérité un manifeste plus approfondie et détaillé de chaque œuvre pour offrir au plus grand nombre les précieux codes qui permettent d’enfin mieux décrypte cette terrible beauté…qui souhaite pourtant se voiler de ces paradoxaux mystères.
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