Vu de l’exposition Mujo-Kan courtesy de la galerie Da-End
Dans le cadre de son cycle d’expositions dédiée à la photographie japonaise, la Galerie Da‐End présente Mujô‐Kan, une édition axée cette année sur la notion d’impermanence, du 6 novembre au 21 décembre 2013 à Paris. Réunissant sept artistes contemporains, Mujô‐Kan revisite le thème du corps humain selon un angle autant philosophique que plastique .
Dans la pensée bouddhique, la notion d’impermanence (Mujô‐Kan en japonais) implique une conscience aigue de l’éphémérité des choses. Un memento mori sans fatalisme et plus en prise avec le réel et l’instant.Premiers témoins du passage du temps,le visage et le corps humain constituent depuis toujours l’un des sujets d’études favoris des photographes. Les artistes de l’exposition Mujô‐Kan,Tomohide Ikeya, Tomoko Kikuchi, Ken Kitano, Daïdo Moriyama, Satoki Nagata, Sakiko Nomura et SatoshiSaïkusa partagent un attrait particulier pour le corps qu’ils subliment ou désacralisent, examinent en détail ou au contraire dématérialisent.
Tomohide Ikeya, dans sa série Breath, projette le corps dans un univers aquatique qui le fascine. La masse liquide pesant sur l’être semble être à la fois enveloppante et protectrice mais aussi asphyxiante et prédatrice. En un mouvement arrêté, le photographe saisit le rapport ambigu de l’homme avec cet élément vital, oscillant entre harmonie et danger. Les deux modèles des photos choisies par la galerie, exposées judicieusement dans l’espace particulier de la mezzanine vermillon,sont des danseurs de Buto (dont celui qui a offert une performance à la galerie lors de l’élaboration de son troisième cabinet de curiosité.)
Tomohide Ikeya – Breath 115 Nobuyoshi Asai
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Tomohide Ikeya – Breath 116 Nobuyoshi Asai
courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Daïdo Moriyama, pose un regard cru et sans concession sur le corps, qu’il immortalise ici nu et sur le vif. D’un érotisme glacé, ses photographies font appel à une mise en scène attentive pour un rendu trouble et instantané. Il livre trois photographies érotiques dans la pièce un peu retranchée du lieu, comme plus secrètes , contrairement à sa démarche plutôt brute par rapport au corps du modèle.Ce photographe si connu pour son travail sur les paysages urbains avait déjà donné lieu à une exposition plus personnelle traitant de l’érotisme à la galerie, dans une volonté de révéler avec préciosité le singulier et l’inattendu…Né au Japon en 1938, Daido Moriyama est l’un des plus importants photographes contemporains. Membre de l’avant-garde artistique japonaise d’après-guerre, il a commencé son oeuvre au milieu des années 1960. Auteur de plus de 150 livres mêlant photographies, textes théoriques et techniques d’impression diverses mais aussi performances et dispositifs d’installations, il a exploité toutes les formes du medium photographique et a contribué à redéfinir la pratique de la photographie de rue.
DAÏDO MORIYAMA (sans titre, 1971) courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
DAÏDO MORIYAMA (sans titre,1970- 1971) courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Satoki Nagata traite, quant à lui, de la disparition de la matière. Sous l’effet des longs temps d’exposition dont il a fait sa marque de fabrique, les corps photographiés perdent leur substance et révèlent toute la fragilité de l’existence humaine. Ses clichés nocturnes n’immortalisent pas des individus en soi mais davantage des ombres en errance, perdues dans la ville.Ce photographe japonais basé à Chicago depuis vingt ans s’inscrit plutôt dans un courant d’expérimentation plastique sur la lumière, de préférence à la nuit tombée ou dans des conditions un peu particulières comme par temps de pluie ou de neige pour un rendu poétique un peu fantomatique.
Satoki Nagata – Chicago Avenue, Chicago
courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Satoki Nagata- Chesnut Street, Chicago
courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Satoki Nagata -Michigan Avenue, Chicago
courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Tomoko Kikuchi documente, elle, depuis de longues années le quotidien de travestis et transexuels vivant en Chine. Les corps qu’elle donne à voir sont des corps en transformation, modifiés temporairement grâce aux artifices du maquillage ou plus définitivement grâce à la chirurgie. En gagnant la confiance de ses modèles dans le temps, la photographe arrive à dépasser les simples questions de genre et de sexualité pour au final montrer la vie marginale de jeunes gens en quête de reconnaissance et d’amour. Elle traite de l’ambiguité, les visages choisis sont pour la plupart très fins et androgynes. Par son regard féminin porté sur ces gens, regard sensible à travers des images non voyeuristes, elle exclut tout jugement mais porte un témoignage délicat.
- Tomoko Kikuchi – Guimei at the mirror, Chongqing, 2011 courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End

Tomoko Kikuchi -Hua standing by the Yantze river, Chongqing, 2008
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Tomoko Kikuchi – Yu and friend on the bed, Beijing 2007
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Sakiko Nomura nous confronte à la fragilité de l’être en nous propulsant dans l’intimité d’inconnus qu’elle met à nu, tant physiquement qu’émotionnellement. Dans l’intimité partagée de la chambre, l’artiste retranscrit les peurs les plus enfouies de ses modèles, leur mélancolie solitaire ou leur intense besoin de l’autre. Cette ancienne assistante de Nobuyoshi Araki entretien un rapport très proche avec le modèle qui donne lieu à des images trés sensibles où l’émotion affleure avec délicatesse.
Sakiko nomura Himitsu (Secret). 2003
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Sakiko Nomura -Kurayami (Noir obscur). 2008
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Avec la série Portrait Of Our Face, Ken Kitano cherche à dégager les contours de ce qui fait l’individualité du «moi». Pour ce faire, il superpose au sein d’une même image des dizaines de portraits d’anonymes appartenant à un même groupe social. Cet étonnant photographe procède d’une démarche presque anthropologique. Il a mis au point ce qu’il appelé des méta portraits. Il s’agit de portraits de dizaines de personnes qui appartiennent à une même catégorie sociale, photographiés pour être ensuite recomposés en un visage archétypal, par superposition de négatifs. Par une technique gardée secrète, au développement il se focalise sur le regard comme point d’ancrage d’un visage un peu composite réunissant donc une dizaines de personnes. Il peut varier ses thèmes de soldats indonésiens à des jeunes filles tokyoïtes branchées En obsevant autour de ce visage, quelques esquisses de portraits fantomatiques viennent flotter subtilement au allentours. Le rendu est à la fois graphique et plastique, les bouts de négatifs composant une matière que l’on dirait dessinée au fusain. Un des moments conceptuellement le plus fort de l’exposition.
Ken Kitano – 14 Dani women. September 27 and 28, 2009. Settle- ments and marketplaces of Wamena, Papua, Indonesia Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Ken Kitano- 43 girls in Harajuku, the fashion district for the youth. 2000 – 2002. Harajuku, Tokyo Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Ken Kitano-29 children practicing their pilgrimage to Mecca. October 4, 2010. Public park in Banda Aceh, Indonesia Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Et enfin, Satoshi Saïkusa (également maitre des lieux, puisque propriétaires de la galerie Da-end avec son épouse) crée lui aussi la surprise conceptuelle et plastique de l’exposition. Naturellement en parfaite harmonie avec le lieu dans sa singularité, Satoshi Saïkusa développe des projets personnels depuis une dizaine d’années,dans lesquels les thèmes de la nuit, de la mémoire et de la fragilité de l’existence transparaissent de manière récurrente. Qu’il travaille sur des séries de nus, de natures mortes ou sur des portraits d’artistes, de danseurs, de yakusas, le concept bouddhiste d’impermanence de l’être semble engager un dialogue incessant avec celui de memento‐mori.
Dans sa série d’œuvres Nippon‐Konchuki, il capture, dissèque et recompose le portrait de jeunes Tokyoïtes qui font commerce de leur corps. Celles‐ci nous apparaissent flottant au dessus de la ville, en écho à leurs activités furtives, fantasmées. L’artiste fait de ces créatures sexuelles de véritables sujets entomologiques, épinglés dans leur boîte, figés dans leur environnement nocturne pour l’éternité. Comme si la prédatrice séduisante et fucace, ainsi fétichisée prenait place au sein de cabinet de curiosité.
Ce geste résolument plastique constitue un véritable questionnement de la pratique de photographe et met à distance la notion traditionnelle de regard en photographie. Pour Satoshi Saïkusa, l’œil humain et l’objectif de l’appareil ne capteront, par essence, jamais la même image. En composant ses boîtes «photo‐entomologiques» à partir de multiples clichés composites, il entend ainsi reconstituer visuellement une image mentale qui aurait échappé à son appareil. Les formes rondes découpées et assemblées évoquent d’ailleurs la mémoire elle‐même; ensemble de bulles fragiles et vacillante sque l’on aimerait conserver pour toujours.
Le portrait de Louise Bourgeois réalisé par l’artiste répond à cette même logique. Saïkusa projette dans ce dernier ses propres souvenirs et émotions de la prise de vue; les événements périphériques que l’appareil n’a pas pu restituer en un seul cliché et que son œil a perçu en plusieurs temps : la présence intrigante de l’assistant de Louise Bourgeois, les étagères poussiéreuses, les poupées qu’elle a confectionnées et encorela nuit.Une araignée vivante a été enfermée dans la boite. Elle a tissé sa toile de façon aléatoire, comme autant de fils épars qui reliraient certaines parties entre elles, illustrant visuellement par un acte organique les assimilations de certains souvenirs. Ce portrait d’un tout autre genre résume à lui seul le parcours du photographe qui ne se contente plus de sélectionner «la bonne image».Il y a là le désir non seulement de restituer pleinement l’univers du sujet photographié, mais aussi de préserver dans le temps ses propres souvenirs du moment de la prise de vue.
Satoshi Saïkusa -Nippon-Konchuki 2
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
SATOSHI SAÏKUSA- Maman et Louise
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-end
Satoshi Saîkusa -Nippon-Konchuki 3
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-end
Une trés belle exposition, sensible, complémentaire entre les démarches des artistes sélectionnés et représentative dans ce qui constitue l’attrait de la photographie contemporaine. Da-end se révèle définitivement comme ma galerie parisienne coup de coeur!
Au fil de sa programmation, la qualité de ses sélections, de ses choix tant conceptuels qu’esthétiques demeurent un enchantement. Fidèle à son désir de singularité et de son appartenance à la culture japonaise, une émouvante
par Masato Matsuura la soirée du 23 novembre.
Exposition Mujô‐Kan du 6novembre au 21 décembre 2013
DA-END
17 rue Guénégaud
75006 PARIS
Tel +33 (0)1 43 29 48 64 lens rencontre annonce
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Horaires :
Du mardi au samedi de 14h à 19h, et sur rendez-vous.
Métro Odéon ou Pont-Neuf
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