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La galerie Da-End invite une quarantaine d’artistes à élaborer son troisième cabinet de curiosités contemporain sur le thème des fleurs. Écloses dans ce lieu à part, celles-ci semblent sonder notre faculté à repenser l’Homme et surtout à explorer ses zones d’ombre, à « extraire la beauté du mal ». Des fleurs par milliers donc, mais celles-ci nʼappellent pas toujours le printemps.
Au sein de ce lieu atypique, choisi initialement aussi dans une volonté de se prêter à ce type d’exercice, voici donc le troisième opus des « cabinets de curiosité ». Les deux premiers déjà très réussis combinaient des pièces d’artistes et des objets historiques anciens empruntés aux sciences naturelles, dans tout le savant mélange qui arrivait à produire de façon quasi magique cette sorte d’harmonie si caractéristique.
Initialement, le cabinet de curiosité amoncelait une multitude d’objet rares ou étranges représentant les trois règnes: le monde animal, végétal et minéral, en plus de réalisations humaines. Il a suscité l’intérêt a partir du seizième siècle. L’objectif des curieux n’était pas d’accumuler ou de répertorier la totalité des objets de la nature et des productions humaines comme le tenteront les encyclopédistes au XVIIIe siècle, mais plutôt de pénétrer les secrets intimes de la Nature par ce qu’elle propose de plus fantastique. En collectionnant les objets les plus bizarres qui l’entouraient, le curieux avait la sensation de pouvoir saisir, de surprendre le processus de Création du monde.
Ce troisième volet, de loin le plus expérimental et contemporain, se concentre sur la fleur baudelairienne. Il mélange bien sûr les disciplines pour respecter à la profusion éclectique mais renouvelle littéralement le genre en offrant un extraordinaire thème d’expression aux artistes sélectionnés. N’apparaissent d’ailleurs ici que deux pièces historiques prêtées par une galerie d’art tribal: une arme en bois guerrière ornementée d’un entrelac végétal, objet de mort et une coiffe de mariée fleurie balinaise, symbole de perpétuation et ode à la vie. De façon tout à fait innovante, une collaboration est également faite avec une maison d’artisan ici. Le tout lie ensembles des boîtes entomologiques, des peintures, des dessins, des collages, des photographies et des sculptures sous toutes leurs formes, parfois à la lisière indéterminée des genres. Un état de grâce fait que chaque pièce trouve sa place et que tout se répond, les sculptures dans leur finesse, leur poésie, leur étrangeté dialoguant avec les tableaux, fétiches, et autres natures mortes.
L’homme, en chaque chose, se projette et la fleur devient un moyen d’exprimer ses troubles.
Je vous propose donc un cheminement subjectif au cœur de cet univers qui recèle autant de délices que de part d’ombres.
Un coup de cœur immédiat pour l’artisteTokushige Hideki avec Honebana, (littéralement fleur d’os) nom donné a son œuvre ritualisée. De fins ossements extraits de rats et autres rongeurs sont assemblés pour créer une sculpture d’une infinie délicatesse représentant une fleur. Elle devient le sujet d’une photographie qui inscrit sa trace mnésique. La sculpture est ensuite détruite et retourne en terre dans la forêt, dans un geste incarnant le cycle ordonné de la nature: le printemps arrive après l’hiver, les fleurs éclosent puis meurent, le matin arrive après la nuit, la vie retourne à la terre et une nouvelle vie naît…
Ici, de façon tout a fait exceptionnelle, cette fleur éphémère suspend son apparition matérielle le temps de l’exposition avant sa destruction et remise en terre. Composant une partie du processus qui est l’avènement de l’œuvre photographique, elle est offerte aux regards dans toute sa puissance formelle déjouant son propre cycle de vie. Elle aborde la question universelle de la fragilité du vivant en écho à d’autres étonnantes sculptures, comme celles de Daria Surovtseva. L’anthropomorphisme transparait sur le végétal qui devient incroyablement vivant par delà la rigidité de sa posture et de son matériau, des protubérances sexuelles apparaissant par endroit, comme autant de ramifications gorgées de sève.
Tokushige Hideki, Honebana- Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Markus Akesson, Psychopomp Club (The lily), 65x81cm, oil on canvas, 2013
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Des mains priant ornementées d’une broderie de fleur se retrouvent sous cloche, témoignage et contribution de la dernière exposition par Lucy Glendinning et évocation des broderies qui ornementaient les robes d’évêques, ici piquées à même la peau. Beaucoup d’artistes japonais émaillent la sélection, comme l’auteur de ces sculptures silencieuses, Hideo Takashima qui se base sur une philosophie zen du plein et du vide pour traduire le visage de ses figurines enfantines en creux, dans un retour à l’intériorisation. Autre interprétation réflective sur le même sujet, Kim Duong, partant du vide qui est en elle, autour d’elle, érige une surprenante sculpture de verre. Un végétal d’un nouveau type, dont l’art hérité des maitres verriers déjoue la rigidité, fait émerger du sol des bulbes fœtus le long d’un tronc délicatement alvéolé. Plante aérienne délivrée de sa matérialité.
Kim Duong, Le crépuscule des Âmes
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Plus loin, le vert quasi surnaturel émanant de la toile de Markus Akesson capte le regard. Extrait de son thème The Psychopomp Club, l’artiste suédois a imaginé un club d’enfants qui se retrouve pour affronter la peur et la mort. Dans sa toile The Lily, une jeune adolescente, le visage peint, comme mystérieusement réapproprié, nous fait entrer avec délicatesse dans les sombres rites de l’adolescent. Ce rendez vous initiatique au sein d’une verte forêt joue du contraste entre la délicatesse d’une fleur, symbole choisi et la gravité qui imprègne la gestuelle autant que le regard de son personnage. Nous sommes renvoyé à un questionnement sur l’abime, avec ses résurgences conflictuelles oedipiennes typiques de cet âge de la vie, transcendées au poétique. On peut découvrir également une des photographies plasticiennes du même artiste, dont la fabrication de façon énigmatique ne permet pas de savoir si elle est élaborée à partir de collage ou résulte d’une mise en scène d’objets véritables. ( La prochaine exposition de la galerie sera consacrée à cet artiste, mêlant sa peinture psychanalytique et symbolique à de la sculpture).
Satoshi Saïkusa, Vanité 6
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Non loin encore, un sombre tableau photographique fait apparaître par touches une composition florale par Satoshi Saikusa, également maitre des lieux. Un premier tirage restituait ce bouquet dans ses couleurs naturelles, quasiment au format réel, ici, on peut découvrir sa version du bouquet repeint en noir, en une nature morte monochrome, ornements subtils surgis de l’obscure dentelle végétale.
Parmi les photographies de fleurs présentes, l’une d’entre elles s’anime doucement, comme sous l’effet d’un sortilège. Montées en morphing, les images nous livrent un bouquet de campanules qui se fane prématurément. Puis, inversant le cycle naturel, se régénèrent dans un mouvement de boucles inversées. Voici la vision contemporaine des Memento Mori, rappellant le sort qui incombe aux vivants et conjurant ses angoisses au passage.
Trône au centre des rayonnages de l’étagère murale, protégé sous cloche, un assemblage de Cédric Laquièze. Mêlant plusieurs squelettes de mouton, canard, poisson, oiseau avec un noix exotique il compose un végétal organique mutant.
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Un livre de botanique devient le socle classique d’une fleur sculpture de résine jaillissant de la page comme une apparition, il convoque le merveilleux.
La pièce orange en mezzanine, lieu expérimental par excellence de la galerie, se trouve métamorphosée en une serre de fleurs de cuirs incandescentes, se reflétant à l’infini. La direction artistique a été confiée à la maison d’artisans Lemarié, spécialisée dans la confection de fleurs destinées à la haute couture.
Les tonalités orangées qui maculent cet immense champs cramoisi génère un crépitement végétal tout à fait étonnant, réchauffant même leurs ténébreuses voisines.
Détail installation Maison Lemarié
Les expérimentations inattendues se poursuivent, comme avec Kunihiro Akinaga, qui donne à la céramique un rendu métallique, générant des sculptures presque design dans l’épure. Elles prennent l’aspect d’un squelette de bronze polissé où chaque pièce est conçue séparément pour être ensuite assemblée en une mécanique étrange qui mêle tradition et technologie. D’autres ossements végétaux, non loin, sont quant à eux exécutés par une imprimante 3 D à partir du dessin de l’artiste. La sculpture « stéréolytographiée » apporte une force nouvelle et donne à cette chambre des merveilles un côté très contemporain, contrepoint direct au casse tête d’art tribal, la pièce la plus ancienne.
L’une des artistes résidantes, d’abord dessinatrice, Cendrine Rovini couche son étrange personnage dans un champ de fleurs romantiques. Son univers imaginaire, dont le trait évoque un art asiatique, à la fois très féminin et décalée se prête avec une douce singularité à l’exercice. En contraste absolu, l’artiste sombre du corps tourmenté qu’est Marcos Carrasquer pose aussi de manière subtile et détournée son empreinte au sein de la galerie. Son tribu à la fleur est représenté par un motif de carreau de salle de bain, intercallé humoristiquement avec d’autres motifs, représentant quant à eux d’inattendues acrobaties sexuelles. Une femme nue au visage brouillé d’un magma blanc – dont on n’ose se demander si il est organique – repose son corps noueux dans une baignoire. Il flotte à la surface de ce bain grinçant une fleur en plastique colorée, kitch comme aurait pu l’être le sempiternel canard! Clin d’oeil transversal faisant le lien dans cette thématique qui lui est si étrangère…
Humour noir et violence cohabitent, réintroduisant au sein du jardin crépusculaire une représentation humaine sans détour.
Et bien sûr, l’œuvre toujours sombre et poétique de Pascal Pillard, Fleur du mal entre toutes, figure de la fleur carnivore, vient prendre place avec une cohérence esthétique parfaite dans cet écrin. (voir article précédent )
Daria Surovtseva-Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Pascal Pillard
Courtesy de l’artiste et de la galerie Da-End
Courtesy de la galerie Da-End
Chaque artiste y exprime ses fantasmes comme ses tourments, toutes les sensibilités s’expriment et cohabitent en un joyeux assemblage, s’emparant parfois d’un medium pour la première fois, délaissant la représentation directe de l’humain pour se plonger dans des fleurs porteuses de toute la noirceur de l’humanité, comme porteuses d’une quintessence poétique.
Markus Åkesson – Kunihiro Akinaga – Rica Arai – Nobuyoshi Asai – Fabienne Auzolle – Marcel·la Barceló Laétitia Bourget – Marcos Carrasquer – Miguel Chevalier – Alexander Dorofeev – Kim – Ellen Ehk – Josette Exandier Christophe de Fabry – Vincent Floderer – Coco Fronsac – Lucy Glendinning – Yoshifumi Hayashi – Pascal Haudressy Orié Inoué – Ken Kitano – Cédric Laquièze – Philippe Lemaire – Marc Molk – Daïdo Moriyama – Jérémy Page – Jean-Luc Parant – Pascal Pillard – Brann Renaud – Cendrine Rovini – Xiao Fan Ru – Satoshi Saïkusa – Marco Sanges – Jim Skull Daria Surovtseva – Hideo Takashima – Hideki Tokushigue – Jojo Wang – Galerie SL – Alexandre Bernand – Maison Lemarie
Exposition du 21 mai au 20 juillet 2013 – galerie Da-End 17, rue guénégaud 75006 Paris
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